(i.) la vie, elle aurait pu être cool avec toi. t'es le second d'une fratrie de quatre enfants. deux filles. deux fils. c'était sympa, avec le frangin et les frangines, tu te plaignais pas, t'étais heureux. et puis c'est arrivé. si vite. t'étais pas prêt. non. t'avais à peine treize ans quand ton père est mort en mission. ton père, ce héro. le soldat que tu admirais, que tu regardais avec des yeux brillants d'admiration. il est mort. t'en sais pas plus. personne n'a jamais voulu t'en dire plus. t'aurais pu surmonter ça. avec ta fratrie. avec ta mère. mais maman, elle a pas réussi, elle. maman, elle buvait, trop. maman, elle a mélangée alcool et médicament. maman, elle est morte quelques mois plus tard. t'es passé de tout à rien. des cris de joies aux larmes d'horreur. connasse de vie. (ii.) terry. c'est ton oncle. le frère de ton père. c'pas que tu l'aimes pas, terry, mais tu lui en veux. tu lui en veux de remplacer tes parents, tu lui en veux parce que tu vois scar l'appeler papa alors que non, c'pas votre père. terry tu lui en veux parce que t'as l'impression qu'il a foutu ton adolescence en l'air. t'en sais rien, t'as juste de la rancune, et beaucoup de rancœur à son égard. t'peux pas l'expliquer. p'être que c'est parce qu'il est flic aussi et que les flics, t'arrives pas à les encadrer. (iii.) tu fumes depuis que t'as quinze piges. tu fumais devant les grilles du lycée, sous le regard mécontent des profs et des pions. t'en avais rien à foutre à l'époque et t'en as toujours rien à foutre du regard des autres. tu fumes parce que ça te détend. tu fumes parce que sans ça, tu deviendrais complètement taré et tu tiendrais pas le coup face à la vie. le tabac, ça a d'abord été une libération, maintenant, c'est une prison. accro. complètement accro à la nicotine que t'es. si ce n'était que ça. (iv.) t'as un penchant pour l'alcool. c'est triste à ton âge. sans doute que c'est familial. t'as vu ta mère une bouteille à la main durant de trop nombreuses années de ta vie. puis y'a terry aussi qui boit. tu l'as surprit plusieurs fois et t'as terminé par piquer dans ses bouteilles. une gorgée. un verre. ça a commencé comme ça. maintenant, t'enchaines les verres pendant les soirées organisées avec tes potes sans difficulté. le seul défaut ? t'as une carrure de merde et l'alcool, tu le tiens pas si bien que ça. (v.) la bande pour toi, c'est le truc le plus important de ta vie. vous êtes quatre. et vous vous connaissez depuis le bac à sable. les quatre fantastiques. ta deuxième famille. vous êtes aussi deux mecs et de nanas. et dans l'fond ça t'fait un peu penser à ta propre fratrie, les problèmes familiaux en moins. eux, c'est toute ta vie, tu pourrais crever pour l'un d'entre eux s'il se retrouve dans la merde. (vi.) t'as laissé tomber tes études après le lycée. t'en avais marre. tu voulais pas passer tes journées le cul sur une chaise à écouter des profs qui se croient supérieur à tout le monde sous prétexte qu'eux, ils ont des diplômes et qu'eux, ils ont fait de grandes écoles. bande de cons. t'as tout foutu en l'air. t'as préféré traîner dans la rue plutôt que de t'instruire. et c'est sans doute à cause de ça que t'as commencé à avoir des emmerdes, des vrai. (vii.) t'as fais ton premier tatouage à seize ans. sans aucune autorisation parentale. t'as trafiqué ta carte d'identité. ouai. t'as pas eu peur d'le faire. t'as voulu jouer au grand et t'as réussi. une rose sur ton bras gauche. bien dissimulé sous tes vêtements un peu trop grands. le premier d'une longue série. le début des cris et des reproches quand ton oncle l'a découvert. (viii.) t'étais en soirée la première fois que t'as touché à la drogue. un joint entre tes doigts. t'as pas eu peur de tester. fumée entre tes lèvres, dans tes poumons. et t'as découvert un nouveau truc. tu t'es senti putain de bien. pour la première fois depuis des années t'étais réellement bien, ton corps te faisait pas souffrir et tes pensées te foutaient la paix. alors t'as recommencé. dés que t'as pu. dés qu'on te proposait. t'as terminé par chercher, par te fournir tout seul. comme un grand. t'as jouer avec le feu, tu sais pas trop comment t'en ai venu à dealer toi aussi, mais tu le fais. tu gagnes de l'argent facilement, tu peux continuer à maintenir ta dépendance. c'est tout ce qui compte. t'as faillis te cramer les ailes y'a pas longtemps. t'en dois une à terry, mais ça, plutôt vomir que de l'avouer et le remercier. (ix.) t'as perdu ta virginité à quatorze ans. avec un mec plus âgé que toi. tu le connaissais même pas tant que ça. c'était pas beau à voir. c'est vrai. et t'as pas eu envie de recommencer tout de suite. tu voyais pas ce que tous le monde trouvait au sexe. puis avec le temps, y'a eu l'envie de redécouvrir, avec un autre, d'expérimenter. et là, tu t'es rendu compte comment ça faisait du bien, le sexe. (x.) t'es violent. tu te bas. t'es le premier à chercher les emmerdes, le premier à mettre des coups. t'y vas. tu fonces. t'es con sans doute. t'en as rien à foutre de qui est en face de toi. tu cognes. ça te défoule. et recevoir des coups, ça ne t'effraie pas. non. tu t'en fous de voir ton visage recouvert d'hématomes divers et varier qui ont parfois des couleurs flippantes. tu t'soignes comme tu peux, à la maison, avec ce que t'as sous la main, désinfecter à l'alcool, ça t'arrive trop souvent. (xi.) t'es insomniaque. tu dors pas. tu dors peu. t'as pas besoin de sommeil. de toute manière, il te fuit. tout semble te fuir. alors la nuit, quand tu dors pas. tu regardes les étoiles. personne le sait. sauf peut être hazel. c'est la seule qui sait que le ciel ça te fascine, que t'aimerais savoir, ce qu'il y a là-haut. t'aimerais pouvoir l'observer, la nuit. t'aimerais pouvoir regarder les étoiles de plus prêt, mais t'as pas l'fric pour ça. non. toi t'es rien, toi t'es un atome dans un univers. insignifiant. (xii.) t'as jamais été en couple. non. jamais. c'est pas pour toi ça. les mecs avec qui tu couches, tu ressens rien pour eux. normalement. tu t'attaches pas. t'laisses les choses faire. tu couches. tu te laisses malmener puis tu te barres. t'es comme ça. tu dors jamais avec un inconnu. y'a que lui. putain. lui tu peux pas te barrer. pas tout de suite. lui, y'a un truc qui t'attires, de trop. bordel. t'sais pas ce que c'est et ça t'rend encore plus paumé. (xiii.) t'as peur de l'eau. t'as failli te noyer quand t'étais gamin et depuis, tu remets pas les pieds dans une rivière ou dans un lac. même dans une piscine. non. t'y vas pas. c'est comme ça. t'expliques pas pourquoi. t'as pas envie, merde. qu'on arrête de te faire chier avec ça si t'as pas envie de te retrouver en boxer devant les autres et de terminer trempé de la tête au pied. (xiv.) t'es pas croyant. mais tous les dimanches, tu vas au cimetière. la ou sont enterrés tes parents. tous les dimanches, t'as des fleurs qui pendent entre tes doigts. ça te va pas cette image. y'a un truc qui cloche, mais tu t'en fiches. tous les dimanches, tu les déposes sur les deux tombes l'une à côté de l'autre et tous les dimanches, tu restes silencieux. parfois, cinq minutes. parfois, trente. parfois, une heure. tu fais pas attention au temps. tous les dimanches, t'es la, les genoux dans les gravillons. et parfois, tu laisses les larmes couler le long de tes joues. silencieuses, presque invisibles. (xv.) tu t'es barré de la maison y'a déjà deux ans. tu préfères ton studio miteux que de vivre avec terry. tu voulais ton indépendance, tu l'as eu. tu te débrouilles, tu fais comme tu peux. de toute manière, t'es plus souvent dans les rues que dans ton studio. tu découches et tu rentres pas pendant plusieurs jours par moment. t'es comme ça toi. tu peux pas rester au même endroit, t'as besoin de bouger, t'as besoin d'voir les rues défiler autour de toi.